Chroniques

1917
Le son suspendu


Par Hubert Charrier 6/05/2020

Que l’on apprécie ou non sa musique, Thomas Newman reste à l’écran, l’un des compositeurs les plus identifiables. L’utilisation poussée de la réverbération et de l’électronique, les lignes épurées, les sons cristallins, autant d’éléments qui, conjugués à l’orchestre, définissent un style singulier. Si l’on pense bien-sûr à Pixar et aux ambiances uniques de Finding Nemo et Wall-E, c’est évidemment la collaboration avec Sam Mendes qui s’impose lorsqu’on évoque le musicien.

Exception faite d’Away we Go, Thomas Newman accompagne depuis toujours Sam Mendes. Débutée en fanfare par American Beauty, modèle de précision dont l’impact musical se mesure encore aujourd’hui, cette remarquable collaboration récolte trois nominations aux Oscars. American Beauty donc, mais aussi Les sentiers de la perdition et Skyfall. Avec 1917, il s’agit de répondre à un nouveau challenge, rythmer un film réalisé en un seul (faux) plan séquence et pallier ainsi, en partie, le rôle du montage.

Les sentiers de la gloire

Paradoxalement, c’est dans la suspension de ce rythme que Thomas Newman est passé maître, manipulant l’impalpable, créant une matière informe et brumeuse obtenue en partie grâce à une réverbération poussée. Dans cette masse, quelques notes électroniques, la mélodie d’un piano ou le souffle d’une flûte viennent aiguiser les sens. Ce flottement fonctionne à point dans le décor de cette ligne Hindenburg, traversée par nos soldats comme un mauvais rêve. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si c’est endormi que débute pour eux l’aventure (Blake and Schofield).

Un sommeil néanmoins léger puisque rapidement, les deux amis se retrouvent au cœur de l’action, devant délivrer au plus vite un message décisif pour la survie d’un bataillon du régiment Devonshire. Une urgence impulsée par l’introduction des percussions dès Up The Down Trench, incursion dans les tranchées bien accompagnée. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas et si Newman gère admirablement l’attente, les passages plus nerveux semblent parfois lui échapper. Les scènes des rapides (The Rapids) et l’explosion du bunker (Tripwire) s’inspirent ainsi mollement du travail d’Hans Zimmer pour Dunkerque, probable réservoir d’idées pour Mendes.

Mais alors que le score de l’allemand reste presque inécoutable hors contexte, Thomas Newman livre de son côté un album solide qui ne manque d’ailleurs pas de moments de grâce. Pièce maîtresse des 19 pistes, The Night Window, passage dantesque où la musique se met au diapason de la sublime photographie de Roger Deakins, flirtant légèrement du côté de Fondcombe. En parfaite conclusion, Come Back to Us dénoue les tensions et apaise les coeurs, porté par la sensibilité quasi-humaine du violoncelle. Il est bon aussi de se poser…

1917, bande originale de Thomas Newman à retrouver sur La Grande Évasion et en numérique sur toutes les plateformes.