Chroniques

The Cloverfield Paradox
Major Bear


Par Hubert Charrier 11/03/2024

Qui reste t-il aujourd’hui pour défendre The Cloverfield Paradox, quelques semaines seulement après sa sortie en exclusivité sur Netflix ? Spectaculaire soufflé, annoncé comme une fleur au dernier Super Bowl, il n'y avait, semble-t-il, guère d’autres armes que la surprise pour faire monter la sauce, tant le plat reste fade. Mais dans une mauvaise huître, on trouve parfois une perle et sur ce coup, en plus d’un sérieux buzz, les producteurs ont eu la riche idée d’offrir à leur coquille un joli cadeau.

Suite à son remarquable10 Cloverfield Lane, il semblait tout naturel de retrouver l’as McCreary au chevet du nouvel opus de la franchise made in J.J. Après le bunker, place au huit clos spatial, avec une expérience scientifique foireuse, parsemée de fils électriques, de pistolets imprimés et de rétroprojections sur hublot. Bien suffisant pour enflammer l’imagination de notre compositeur, présent en amont du projet, arpentant même les plateaux et les couloirs sinueux de la station Cloverfield.

Station secouée

Le premier élément ressortant de The Cloverfield Paradox, c’est le sentiment d’urgence qui hante une grande partie de l’album. Dès le générique, ce son synthétique, martelé, profond et cet ostinato, entrecoupé de silence, reflètent parfaitement l’état d’alerte de notre équipage, pressé par la nécessité de résultat et par les évènements mystérieux qui frappent la station. À l’origine, le thème est un court passage du morceau Drifting in the Dark, illustration d’une scène clé que nous n’aurons pas l’audace de dévoiler ici. Suite à la réaction du réalisateur Julius Onah, lors d’une première écoute, McCreary décide de s’emparer de ces quelques notes pour en faire la charpente de sa composition.

À l’opposé de cette tension, le compositeur construit autour du personnage d’Ava. Elle amène le contraste et la douceur nécessaire pour équilibrer l’écoute. Ava and Michael s’oppose ainsi au générique saccadé, apportant lyrisme et liant, porté d’abord par les cordes ensuite par le chœur. Retravaillée et étirée dans A message for Ava, la thématique gagne même en intensité et en dramaturgie, grâce à l’utilisation opportune des cors d’harmonie. Mais The Cloverfield Paradox ne s’arrête pas en si bon chemin. Outre une richesse dans la déclinaison, McCreary offre une véritable variété dans le propos. Spacewalk illustre bien ce foisonnement, tirant dans les premières secondes vers du Williams avant de s’orienter vers un pur moment d’action, façon Goldsmith, de près de sept minutes.

Certains retrouveront même un peu de Don Davis dans Converging Overload, avec cette montée façon Matrix (0’40). De toutes ces influences, Bear McCreary ne se cache d’ailleurs pas, trop heureux de trouver ici un terrain pour exprimer sa verve. Jamais dans la rupture, jouant avec ses thèmes, les entremêlant avec assurance, l’américain donne une structure et une homogénéité toujours aussi étonnante et rare. Plombée par le film, sa musique n’entrera peut-être pas dans le panthéon du genre mais figurera sans doute en bonne place dans les étagères des béophiles avertis, pas mécontent d’ajouter un nouveau trésor à leur collection.

The Cloverfield Paradox, bande originale de Bear McCreary, à retrouver en numérique sur toutes les plateformes.